Laurent Béal

Créateur de lumières

2001 : nommé pour le Molière du créateur de lumières pour Trois Versions de la vie
2002 : nommé pour le Molière du créateur de lumières pour Elvire
2003 : nommé pour le Molière du créateur de lumière pour Un vrai bonheur
2004 : nommé pour le Molière du créateur de lumières pour L’amour est enfant de salaud
2005 : nommé pour le Molière du créateur de lumières pour Amadeus
2006 : nommé pour le Molière du créateur de lumières pour La Sainte Catherine
2007 : nommé pour le Molière du créateur de lumières pour Marie Stuart
2010 : nommé pour le Molière du créateur de lumières pour Colombe
2015 : nommé pour le Molière de la création visuelle pour Le Système (avec Jean-Daniel Vuillermoz)
2017 : nommé pour le Molière de la création visuelle pour La Garçonnière (avec Brigitte Faur-Perdigou et Édouard Laug)

Freud et la femme de chambre : songes romains

Rome, 1923. Sigmund Freud appelle la réception de son hôtel pour demander à ne pas être dérangé le lendemain matin. Curieuse, Marie se faufile malgré tout dans sa chambre et le réveille plus tôt que souhaité, dans Freud et la femme de chambre au théâtre Montparnasse. Freud séjourne en Italie avec sa fille Anna. Il souffre d’un cancer de la mâchoire et du deuil de son « petit-fils préféré » Heinerle et de sa fille Sophie. Dans le pittoresque décor d’une chambre d’hôtel conçu par Catherine Bluwal, Marie retrouve cet « hypnotiseur de cirque » qu’elle rencontra lorsqu’elle avait 10 ans. Désormais âgée de 23 ans, la femme de chambre découvre que l’homme qu’elle admirait tant s’avère aigri et complètement hors sol. Ils se comprennent rarement. Il étudie les rêves d’une façon qui lui semble incohérente et soigne les névroses par la psychanalyse. Ce récent remède popularisé depuis apparaît illusoire, comme souvent sur scène.

L’intrigue plutôt maigre imaginée par Leonardo de la Fuente, relève plus de la lutte des classes que de la biographie. La jeune femme vole rapidement la vedette au psychanalyste. Sujet du docteur, elle se dévoile plus que lui qui traîne sa tristesse. Alain Sachs met en scène cette confrontation du feu et de la glace. Lunettes rondes et barbe soigneusement taillée, François Berléand incarne un Sigmund Freud amer, déstabilisé et distrait par une femme de chambre. L’ingénue Nassima Benchicou campe l’exaltée Marie. Joie de vivre personnifiée, elle aime tout ce qui est agréable : manger de bons plats, danser et faire l’amour. Ce rôle lui offrira peut-être le Molière de la révélation féminine.

Freud et la femme de chambre est une rêverie comique.

Freud et la femme de chambre au théâtre Montparnasse (14e).
Du 20 janvier au 5 mai 2024.
Du mercredi au samedi à 21h, les samedis à 16h30 et les dimanches à 15h.

Pauvre Bitos : le cruel stratagème

« Pauvre Bitos », pourrait s’indigner tout un chacun au théâtre Hébertot, témoin du guet-apens dans lequel tombe ce parvenu. Dans une petite ville de province, Maxime organise un « dîner de têtes ». Il réuni un groupe d’amis de la bonne société autour d’un invité d’honneur : André Bitos, fils du peuple devenu magistrat incorruptible et vertueux. Il sera Robespierre, le seul en costume d’époque. Chacun des convives, en smoking ou robe de soirée, se fait la tête d’un personnage de la Révolution française. Visages poudrés et coiffés de perruques, ils reproduisent ces têtes tranchées par la guillotine, hormis Mirabeau, dont l’interprète Vulturne (Francis Lombrail) relève son maquillage reproduisant les stigmates de la petite vérole. Tous fusionnent avec leurs personnages et croisent les mots comme d’autres croisent le fer. Julien / Danton (Etienne Ménard), le plus vigoureux d’entre eux, s’acharne contre Bitos qui tente d’attendrir la tablée avec ses souvenirs d’enfance.

Créée en 1956, la pièce fit scandale. Reprise en 1967, elle ne fut pas jouée depuis. Fruit de la collaboration de Jean Anouilh avec son épouse Nicole, Pauvre Bitos établit un parallèle entre la Révolution et la Libération, et surtout entre la Terreur et l’épuration qui en découlent. Thierry Harcourt signe ici, la mise en scène d’un texte désépaissi, retranché de quelques personnages, dans la scénographie épurée et raffinée de Jean-Michel Adam.

Dès son entrée en scène, André Bitos / Robespierre s’impose comme souffre-douleur. Magistral, Maxime d’Aboville endosse la dualité de cet homme aussi pitoyable qu’irritant. Ni du peuple, ni de la haute société, ce revanchard mû par un besoin de propreté, brosse nerveusement ses vêtements. Le fabuleux Adrien Melin campe Maxime / Saint-Just, le vice se dressant face à la vertu. Il attise les braises afin de mieux jouir de l’humiliation de « ce petit boursier cafard » auquel il voue une haine vivace. Le gracieux Adel Djemai manie courtoisie et éloquence en Deschamps / Camille Desmoulins, ancien camarade de Bitos à la communale devenu instituteur. Il demeure plus bienséant que ses comparses dans ses remontrances. Bourgeoise dans tout sa splendeur, Clara Huet compose en alternance avec Adina Cartianu, Lila / Marie-Antoinette, intrigante et salonnière contemporaine. Sybille Montagne incarne Victoire / Lucile Desmoulins, la bonté faite femme. Des similitudes entre les personnages et leurs « têtes » émergent peu à peu. Honni pour ses idées et pour sa classe sociale, Bitos subit et se soumet à cette cruelle vindicte au cœur des heures sombres de l’Histoire.

Pauvre Bitos est une comédie grinçante magnifiée par une talentueuse distribution.

Pauvre Bitos au théâtre Hébertot (17e).
Depuis le 9 février 2024.
Du mercredi au samedi à 19h et les dimanches à 17h30.

Le mystère Sunny : plaidoyer pour un innocent ou duperie de génie

Dix ans après un procès très médiatisé, Claus von Bülow rend visite à l’avocat auquel il doit sa liberté. C’est Noël, Alan Dershowitz l’attend dans son luxueux cabinet new-yorkais, espérant percer Le mystère Sunny sur la scène du théâtre Montparnasse. Martha von Bülow, dite Sunny, plonge dans le coma le 21 décembre 1980. Elle n’en sortira pas et décèdera le 7 décembre 2008. Condamné en première instance à trente ans de prison pour meurtre, son époux embauche un jeune professeur de Havard pour son appel. Alan Dershowitz obtient son acquittement en 1985. Exilé à Londres, Claus von Bülow vient constater l’ascension de celui qui lui doit ses lettres de noblesses. S’engage une joute oratoire entre les deux hommes tout aussi pugnaces et manipulateurs. Tour à tour, toréro et taureau, ils s’affrontent sans relâche dans une arène haut de gamme.

D’immenses fenêtres offrent une vue imprenable sur New-York. La décoration du bureau reflète la prospérité de son occupant. Jean Haas soigne la scénographie, avec des tas de dossiers empilés à même le sol, un sapin de noël ou des cadres, une menorah et même le drapeau d’Israel sur les étagères.

Alain Teulié imagine une rencontre a priori anodine. Dix ans après un procès retentissant, qu’il évoque avec parcimonie, il s’attarde sur la personnalité de deux mégalomanes. Une bataille d’orgueil supplante rapidement la courtoisie de rigueur. Dominique Guillo met en scène deux fauves dans une cage dorée. Patrick Chesnais se glisse dans le costume trois pièces sur mesure de Claus von Bülow. Imbuvable, il joue sur la corde sensible de son âge tout en se voyant comme un fringuant séducteur. Il n’y a guère que l’évocation de sa fille Cosima qui ne révèle son humanité. Il pousse dans ses retranchements Alan Dershowitz, campé par Nicolas Briançon. Fort de son succès auprès d’O.J. Simpson, il redevient un jeune loup face à cet aristocrate qui ne voit en lui qu’un parvenu débraillé. Malgré les efforts du plaideur pour obtenir un aveu de culpabilité, qui revaloriserait son travail, son ancien client ne lâche rien. Les deux hommes tentent tous deux de sortir victorieux de cette joute. A l’instar de l’implication de Claus von Bülow dans la mort de sa femme, le nom du vainqueur reste à l’appréciation de chacun.

Le mystère Sunny est un affrontement sur fond d’affaire judiciaire.

Le mystère Sunny au théâtre Montparnasse (14e).
Du 12 septembre au 26 novembre 2023
Du mercredi au samedi à 21h, les samedis à 17h30 et les dimanches à 15h30.

Times Square : un brin de Gaîté à Broadway

Au quinzième étage d’un vieil immeuble de Times Square, Sara Bump s’impatiente. Sur la scène du théâtre Montparnasse, elle discute avec Tyler, un acteur bègue déguisé en Bunny pour touristes. Suivant les conseils d’un client du restaurant où elle travaille, cette serveuse s’apprête à rencontrer Matt Donovan, un ancien comédien, afin qu’il la prépare pour une audition. Il s’agit du rôle de Juliette dans une adaptation de la pièce de Shakespeare au Majestic Theatre. L’apprivoisement mutuel du comédien désabusé et de la désinvolte aspirante se révèle ardu, drôle et tendre.

« Vous m’avez lu ça comme si c’était le bottin » dénigre Matt Donovan. « Mais c’est le bottin », lui rétorque Sara Bump. Ces deux là ne manquent pas de répondant, sous la plume de Clément Koch. Dans les coulisses du métier d’acteur, il confronte deux générations, deux carrières : l’une qui ne décolle pas et l’autre brisée en plein vol. Les répliques sont mordantes. Les personnages exposent, peu à peu, leurs fêlures dans cet appartement new-yorkais surplombant la célèbre avenue de Broadway. José Paul dirige ces répétitions tendues, oscillant entre passe d’armes et transmission, dans un intérieur vieillot, avec vue sur les gratte-ciel, conçu par Edouard Laug.

Sara Bump regorge de fraicheur et de combativité sous les traits de Camille Aguilar. Skateuse aux vêtements informes, elle achète une jupe pour son audition. « Donc pour vous Shakespeare a situé son histoire dans une boite de strip à Las Vegas », ironise Guillaume de Tonquédec, délicieusement infect en Matt Donovan, désillusionné qui s’enivre à longueur de journée. Témoins discrets des cours d’arts dramatiques, Axel Auriant et Marc Fayet composent les attachants Tyler et Robert Donovan, un expert comptable qui égaye son morne quotidien en vivant par procuration les succès de son frère Matt. Ils assistent simultanément aux débuts d’une jeune première, à la renaissance d’un homme blasé et à la genèse d’une pièce.

Times Square est une comédie caustique pleine d’humanité.

Times Square au théâtre Montparnasse (14e).
Depuis le 22 janvier 2022.
Du mardi au samedi à 20h30, les samedis à 17h et les dimanches à 15h30.

Berlin Berlin : la folle histoire d’Emma et Ludwig

Berlin-Est, Emma échafaude un plan audacieux pour passer à l’Ouest. Elle embringue son fiancé Ludwig, qui s’élance bon gré mal gré dans le but d’épouser sa belle de l’autre côté du mur. Leur traversée Berlin Berlin se révélera semée d’embuches, au théâtre Fontaine. Engagée comme aide-soignante d’une vieille dame dont l’appartement dispose d’un passage secret, Emma découvre que le fils de l’occupante des lieux, Werner Hofmann, travaille à la Stasi. Bientôt, l’infirmier Hans (Loïc Legendre), une affaire d’espionnage et un éminent violoniste (Claude Guyonnet) compromettront leur projet. De nombreux dilemmes se présenteront aux tourtereaux, avec souvent la mort pour option.

Redoutablement doué pour les comédies, Patrick Haudecœur cosigne avec Gérald Sibleyras une pièce, encore une fois, hilarante. Au fil des scènes, l’intensité comique s’accroit. Les situations deviennent de plus en plus inextricables, les péripéties cocasses et s’ajoutent des personnages toujours plus loufoques. A la Stasi, un général dépressif à l’accent chantant (Guilhem Pellegrin) côtoie un agent malchanceux (Gino Lazzerini) sur lequel le sort semble s’acharner. José Paul dirige cette joyeuse bande dans leur périlleuse aventure en terrain hostile. Dans le salon avec vue imprenable sur le mur, l’occupation soviétique s’affiche fièrement jusqu’au motif faucille et marteau de la tapisserie. Édouard Laug mise ensuite sur un style gris épuré pour des bureaux tout aussi inhospitaliers.

Anne Charrier charme par l’optimisme et la témérité d’Emma. Elle forme un adorable couple avec Patrick Haudecœur, qui campe un Ludwig à la hardiesse toute relative. Impayable en fils d’une douce mère criarde, Maxime d’Aboville compose un Werner, envouté par Emma et bridé par Birgit (Marie Lanchas), colonel à poigne. Aux hommes, la couardise, les femmes, elles, directives, sont dotées de courage. Tous ces protagonistes farfelus, se révèlent parfois complètement à l’ouest pour le plus grand plaisir du public.

Berlin Berlin est une irrésistible épopée.

Berlin Berlin au théâtre Fontaine (9e).
Du 27 janvier au 31 mai 2022.
Du mardi au samedi à 21h, les samedis à 16h30 et les dimanches à 16h.