Sybille Montagne

Comédienne

Pauvre Bitos : le cruel stratagème

« Pauvre Bitos », pourrait s’indigner tout un chacun au théâtre Hébertot, témoin du guet-apens dans lequel tombe ce parvenu. Dans une petite ville de province, Maxime organise un « dîner de têtes ». Il réuni un groupe d’amis de la bonne société autour d’un invité d’honneur : André Bitos, fils du peuple devenu magistrat incorruptible et vertueux. Il sera Robespierre, le seul en costume d’époque. Chacun des convives, en smoking ou robe de soirée, se fait la tête d’un personnage de la Révolution française. Visages poudrés et coiffés de perruques, ils reproduisent ces têtes tranchées par la guillotine, hormis Mirabeau, dont l’interprète Vulturne (Francis Lombrail) relève son maquillage reproduisant les stigmates de la petite vérole. Tous fusionnent avec leurs personnages et croisent les mots comme d’autres croisent le fer. Julien / Danton (Etienne Ménard), le plus vigoureux d’entre eux, s’acharne contre Bitos qui tente d’attendrir la tablée avec ses souvenirs d’enfance.

Créée en 1956, la pièce fit scandale. Reprise en 1967, elle ne fut pas jouée depuis. Fruit de la collaboration de Jean Anouilh avec son épouse Nicole, Pauvre Bitos établit un parallèle entre la Révolution et la Libération, et surtout entre la Terreur et l’épuration qui en découlent. Thierry Harcourt signe ici, la mise en scène d’un texte désépaissi, retranché de quelques personnages, dans la scénographie épurée et raffinée de Jean-Michel Adam.

Dès son entrée en scène, André Bitos / Robespierre s’impose comme souffre-douleur. Magistral, Maxime d’Aboville endosse la dualité de cet homme aussi pitoyable qu’irritant. Ni du peuple, ni de la haute société, ce revanchard mû par un besoin de propreté, brosse nerveusement ses vêtements. Le fabuleux Adrien Melin campe Maxime / Saint-Just, le vice se dressant face à la vertu. Il attise les braises afin de mieux jouir de l’humiliation de « ce petit boursier cafard » auquel il voue une haine vivace. Le gracieux Adel Djemai manie courtoisie et éloquence en Deschamps / Camille Desmoulins, ancien camarade de Bitos à la communale devenu instituteur. Il demeure plus bienséant que ses comparses dans ses remontrances. Bourgeoise dans tout sa splendeur, Clara Huet compose en alternance avec Adina Cartianu, Lila / Marie-Antoinette, intrigante et salonnière contemporaine. Sybille Montagne incarne Victoire / Lucile Desmoulins, la bonté faite femme. Des similitudes entre les personnages et leurs « têtes » émergent peu à peu. Honni pour ses idées et pour sa classe sociale, Bitos subit et se soumet à cette cruelle vindicte au cœur des heures sombres de l’Histoire.

Pauvre Bitos est une comédie grinçante magnifiée par une talentueuse distribution.

Pauvre Bitos au théâtre Hébertot (17e).
Depuis le 9 février 2024.
Du mercredi au samedi à 19h et les dimanches à 17h30.