Charlotte Betaillole

Costumière

Un tramway nommé Désir : la fantaisiste et le prolétaire

Les comédiens vaquent sur la scène du théâtre des Bouffes Parisiens. Un couple s’enlace, une autre bouquine allongée seule, sur un lit. L’assistance n’interrompt ses bavardages qu’au moment où une voix-off annonce une arrivée en gare et le début d’Un tramway nommé Désir. Blanche Dubois débarque chez sa soeur Stella dans un quartier pauvre de La Nouvelle-Orléans. Professeur de littérature anglaise, elle a perdu la plantation familiale de Belle Rêve, mais reste floue sur le sujet. Stanley Kowalski, le mari de Stella, n’apprécie guère l’installation envahissante de sa belle-soeur dans leur modeste appartement. Cet ouvrier d’origine polonaise se sent méprisé par la distinction affichée de cette grande dame et creuse le mystère qu’elle laisse planer autour de sa venue. Robe de mousseline, bandeau et nœud rose pâle dans les cheveux, cette poupée de porcelaine dispose d’une propension à irriter son entourage. Désireuse de plaire, elle joue la mijaurée ou la femme-enfant et entretient le mystère à propos de son âge. Elle s’invente des histoires qui rendent sa vie plus belle et surtout plus intéressante.

James Brandily opte pour la transparence à jardin, laissant apparaître un escalier métallique. Cette scénographie apparaît très esthétique pour concevoir le taudis que représente l’appartement des Kowalski, malgré le mobilier ramassé à cour. Cet écrin confère toutefois, une résonance contemporaine au huis clos de Tennessee Williams, crée en 1947 et immortalisé par l’adaptation cinématographique d’Elia Kazan en 1951. Traduit par Isabelle Famchon, A Streetcar Named Desire, revient ici moins sombre et sensuel. La mise en scène de Pauline Susini se concentre sur les névroses d’une Blanche, composée par Cristiana Reali, fougueusement instable. Schizophrène au passé nébuleux, elle oscille entre petite fille capricieuse et bourgeoise railleuse. En dépit de ses rêves de princesse, cette veuve outragée jette son dévolu sur Harold Mitchell dit « Mitch » (Lionel Abelanski), vieux garçon inconsistant vivant avec sa mère malade. Douce et avenante, Alysson Paradis campe Stella, qui perd peu à peu son sourire face à l’affrontement entre son mari et sa sœur, auxquels elle se soumet. Ces trois comédiens concourront aux Molières 2024 pour leurs prestations dans la pièce. Marie-Pierre Nouveau prête sa gouaille à Eunice Hubbell, la logeuse flanquée d’un mari à l’alcool mauvais. Nicolas Avinée manifeste la violence du prosaïque Stanley Kowalski par des hurlements. Ce « Polack » d’un niveau social inférieur à celui de la famille de son épouse est adepte de parties de poker avec Mitch, son ancien compagnon d’armes et collègue à l’usine, Steve Hubbell (Djibril Pavadé) et Pablo Gonzales (Simon Zampieri ou Tanguy Malaterre). Impatient de se débarrasser de son invitée encombrante qui monopolise notamment sa baignoire, il dénonce sa mythomanie. Il assène le coup de grâce plongeant Blanche dans la démence.

Un tramway nommé Désir est l’adaptation moderne d’un chef-d’oeuvre.

Un tramway nommé Désir au théâtre des Bouffes Parisiens (2e).
Du 31 janvier au 28 avril 2024.
Du mercredi au samedi à 20h et tous les dimanche à 15h30.

Maman : une douce mélodie

Sur le trottoir, devant la vitrine de sa boutique de vêtements de grossesse, elle attend le taxi qui la ramènera chez elle. Emmitouflée dans un manteau de fourrure, elle patiente dans Maman sur la scène du théâtre Édouard VII. Un jeune homme la dépasse, revient et l’interroge : « C’est combien ? » Cette gênante question pour les deux protagonistes établit les fondements du fruit d’une rencontre impromptue. Elle est engageante, lui peu loquace. Elle semble heureuse, lui perdu. Elle paraît ne pas lui en tenir rigueur, lui s’en veut de sa méprise. Le taxi interrompt ces premiers échanges. De retour chez elle, Jeanne rapporte sa mésaventure à son mari et lui suggère une idée folle. Cette femme ordinaire pourvue d’un brin de fantaisie et de largesse d’esprit nécessaires pour rompre la routine, dévoile sa fêlure. Meurtrie dans sa chair un soir comme celui-ci, les blessures de l’âme s’apprêtent à cicatriser grâce à sa rencontre fortuite avec un jeune homme.

Une mélodieuse mélancolie résonne lors des passages de la devanture, sublimée par une chaleureuse décoration de noël, à la demeure peu chargée en mobilier d’Emmanuelle Roy. Samuel Benchetrit signe une pièce émouvante empreinte de simplicité, de sincérité, d’absurde et d’humour. Il offre à Vanessa Paradis des débuts prometteurs sur les planches. Sa frêle silhouette devient celle de Jeanne, une mère au désœuvrement dissimulé par son naturel. Elle forme un couple attachant avec Bernard, bonhomme résigné et conciliant campé par Éric Elmosnino. Félix Moati incarne la désinvolture d’un jeu homme esseulé. Gabor Rassov complète la distribution, en promeneur nocturne. Ces personnages malheureux s’avèrent prêts à s’unir et à saisir les opportunités d’un instant de joie ou d’un avenir plus doux.

Maman est une pièce dans laquelle s’accordent tendresse et rires.

Maman au théâtre Édouard VII (9e).
Du 14 septembre 2021 au 16 janvier 2022.
Du mardi au samedi à 21h, les samedis à 16h30 et les dimanches à 16h.