James Brandily

Scénographe

Un tramway nommé Désir : la fantaisiste et le prolétaire

Les comédiens vaquent sur la scène du théâtre des Bouffes Parisiens. Un couple s’enlace, une autre bouquine allongée seule, sur un lit. L’assistance n’interrompt ses bavardages qu’au moment où une voix-off annonce une arrivée en gare et le début d’Un tramway nommé Désir. Blanche Dubois débarque chez sa soeur Stella dans un quartier pauvre de La Nouvelle-Orléans. Professeur de littérature anglaise, elle a perdu la plantation familiale de Belle Rêve, mais reste floue sur le sujet. Stanley Kowalski, le mari de Stella, n’apprécie guère l’installation envahissante de sa belle-soeur dans leur modeste appartement. Cet ouvrier d’origine polonaise se sent méprisé par la distinction affichée de cette grande dame et creuse le mystère qu’elle laisse planer autour de sa venue. Robe de mousseline, bandeau et nœud rose pâle dans les cheveux, cette poupée de porcelaine dispose d’une propension à irriter son entourage. Désireuse de plaire, elle joue la mijaurée ou la femme-enfant et entretient le mystère à propos de son âge. Elle s’invente des histoires qui rendent sa vie plus belle et surtout plus intéressante.

James Brandily opte pour la transparence à jardin, laissant apparaître un escalier métallique. Cette scénographie apparaît très esthétique pour concevoir le taudis que représente l’appartement des Kowalski, malgré le mobilier ramassé à cour. Cet écrin confère toutefois, une résonance contemporaine au huis clos de Tennessee Williams, crée en 1947 et immortalisé par l’adaptation cinématographique d’Elia Kazan en 1951. Traduit par Isabelle Famchon, A Streetcar Named Desire, revient ici moins sombre et sensuel. La mise en scène de Pauline Susini se concentre sur les névroses d’une Blanche, composée par Cristiana Reali, fougueusement instable. Schizophrène au passé nébuleux, elle oscille entre petite fille capricieuse et bourgeoise railleuse. En dépit de ses rêves de princesse, cette veuve outragée jette son dévolu sur Harold Mitchell dit « Mitch » (Lionel Abelanski), vieux garçon inconsistant vivant avec sa mère malade. Douce et avenante, Alysson Paradis campe Stella, qui perd peu à peu son sourire face à l’affrontement entre son mari et sa sœur, auxquels elle se soumet. Ces trois comédiens concourront aux Molières 2024 pour leurs prestations dans la pièce. Marie-Pierre Nouveau prête sa gouaille à Eunice Hubbell, la logeuse flanquée d’un mari à l’alcool mauvais. Nicolas Avinée manifeste la violence du prosaïque Stanley Kowalski par des hurlements. Ce « Polack » d’un niveau social inférieur à celui de la famille de son épouse est adepte de parties de poker avec Mitch, son ancien compagnon d’armes et collègue à l’usine, Steve Hubbell (Djibril Pavadé) et Pablo Gonzales (Simon Zampieri ou Tanguy Malaterre). Impatient de se débarrasser de son invitée encombrante qui monopolise notamment sa baignoire, il dénonce sa mythomanie. Il assène le coup de grâce plongeant Blanche dans la démence.

Un tramway nommé Désir est l’adaptation moderne d’un chef-d’oeuvre.

Un tramway nommé Désir au théâtre des Bouffes Parisiens (2e).
Du 31 janvier au 28 avril 2024.
Du mercredi au samedi à 20h et tous les dimanche à 15h30.

1983 : un fade retour du boulevard

Envole-moi ou T’as le look coco ambiancent les spectateurs avant que ne débute 1983 au théâtre de la Porte Saint-Martin. Le titre évoque l’année de la collection à succès de Michelle Davidson, celle aussi où elle s’est retirée du monde pour retrouver l’inspiration. Seulement voilà, nous sommes en 2022 et elle n’est toujours pas revenue. Depuis tout ce temps, Henri dit « Riton » (Michel Ansault) ravitaille la créatrice de mode via une trappe que lui seul connaît. Il en profite pour lui délivrer des lettres enflammées.

En 2014, Jean Robert-Charrier enfilait une robe d’avocate vénale à Chantal Ladesou et la confrontait au végétalisme, dans Nelson. Il l’imagine aujourd’hui en diva de la mode figée dans les années 1980 et la dirige dans une sorte d’Hibernatus, la cryogénie en moins. Plus de trente-huit années se sont écoulées. Michelle et Bernard (Dominique Daguier), son collaborateur, les ont passées reclus dans une grande demeure, dont ils retrouvent la porte d’entrée lorsque survient Camille. Sans doute atteinte de troubles du spectre autistique, elle se présente sous les traits de Clémence Ansault ou d’Adèle Royné, comme une jeune fille un peu à part. Les deux ermites tombent des nues en apprenant la fin du mandat de François Mitterrand, pire il est décédé, tout comme Lady Diana. Ils apprennent ensuite, le passage à l’euro, découvrent l’inflation et peinent à assimiler le cours de culture numérique pour les nuls. En matière de réseaux sociaux, le choc des générations existe quoiqu’il en soit.

Le théâtre de boulevard et l’année 1983, évoquent immanquablement Au théâtre ce soir et ses décors ramassés, un brin kitsch. James Brandily scénographie ici, un vaste salon au mobilier vintage dans lequel trône un escalier monumental qu’emprunte Chantal Ladesou pour son entrée, ou plutôt sa descente en scène, en déshabillé vaporeux, pailleté, largement ourlé de plumes, et prolongé d’une traîne. Elle fait le show comme à l’accoutumée et surtout, défile dans des tenues dignes du feuilleton Dynastie, griffées Michel Dussarrat.

Sobrement costumée, Anaïs Harté compose l’inspectrice Sylvie Potier, une fliquette, peu futée qui enchaîne les effets de pose avec son pistolet. Florence Janas en alternance avec Sabine Moindrot la surclasse dans le grotesque, dans le rôle de Bibou, influenceuse nombriliste, outrageusement maquillée, les cheveux ultra-lissés et le fessier hyper rebondi. Moulée dans une combinaison en lycra et ceinte d’un corset appareillé pour ses tournages permanents, elle fait figure d’hurluberlu, même pour un public actuel. En dépit de ces personnages hautement caricaturaux, l’intrigue reste désespérément plate. La musique et les pas de danse esquissés par les comédiens lors des saluts, n’étanchent pas l’amère impression d’avoir assister à un one-woman-show d’une Chantal Ladesou sans réelle partition.

1983 est une comédie alléchante et décevante.

1983 au théâtre de la Porte Saint-Martin (10e).
Depuis le 27 septembre 2022.
Du mardi au vendredi à 20h, les samedis à 16h et 20h30, et les dimanches à 16h.