Tennessee Williams

Dramaturge américain, né le 26 mars 1911 et décédé le 25 février 1983

Un tramway nommé Désir : la fantaisiste et le prolétaire

Les comédiens vaquent sur la scène du théâtre des Bouffes Parisiens. Un couple s’enlace, une autre bouquine allongée seule, sur un lit. L’assistance n’interrompt ses bavardages qu’au moment où une voix-off annonce une arrivée en gare et le début d’Un tramway nommé Désir. Blanche Dubois débarque chez sa soeur Stella dans un quartier pauvre de La Nouvelle-Orléans. Professeur de littérature anglaise, elle a perdu la plantation familiale de Belle Rêve, mais reste floue sur le sujet. Stanley Kowalski, le mari de Stella, n’apprécie guère l’installation envahissante de sa belle-soeur dans leur modeste appartement. Cet ouvrier d’origine polonaise se sent méprisé par la distinction affichée de cette grande dame et creuse le mystère qu’elle laisse planer autour de sa venue. Robe de mousseline, bandeau et nœud rose pâle dans les cheveux, cette poupée de porcelaine dispose d’une propension à irriter son entourage. Désireuse de plaire, elle joue la mijaurée ou la femme-enfant et entretient le mystère à propos de son âge. Elle s’invente des histoires qui rendent sa vie plus belle et surtout plus intéressante.

James Brandily opte pour la transparence à jardin, laissant apparaître un escalier métallique. Cette scénographie apparaît très esthétique pour concevoir le taudis que représente l’appartement des Kowalski, malgré le mobilier ramassé à cour. Cet écrin confère toutefois, une résonance contemporaine au huis clos de Tennessee Williams, crée en 1947 et immortalisé par l’adaptation cinématographique d’Elia Kazan en 1951. Traduit par Isabelle Famchon, A Streetcar Named Desire, revient ici moins sombre et sensuel. La mise en scène de Pauline Susini se concentre sur les névroses d’une Blanche, composée par Cristiana Reali, fougueusement instable. Schizophrène au passé nébuleux, elle oscille entre petite fille capricieuse et bourgeoise railleuse. En dépit de ses rêves de princesse, cette veuve outragée jette son dévolu sur Harold Mitchell dit « Mitch » (Lionel Abelanski), vieux garçon inconsistant vivant avec sa mère malade. Douce et avenante, Alysson Paradis campe Stella, qui perd peu à peu son sourire face à l’affrontement entre son mari et sa sœur, auxquels elle se soumet. Ces trois comédiens concourront aux Molières 2024 pour leurs prestations dans la pièce. Marie-Pierre Nouveau prête sa gouaille à Eunice Hubbell, la logeuse flanquée d’un mari à l’alcool mauvais. Nicolas Avinée manifeste la violence du prosaïque Stanley Kowalski par des hurlements. Ce « Polack » d’un niveau social inférieur à celui de la famille de son épouse est adepte de parties de poker avec Mitch, son ancien compagnon d’armes et collègue à l’usine, Steve Hubbell (Djibril Pavadé) et Pablo Gonzales (Simon Zampieri ou Tanguy Malaterre). Impatient de se débarrasser de son invitée encombrante qui monopolise notamment sa baignoire, il dénonce sa mythomanie. Il assène le coup de grâce plongeant Blanche dans la démence.

Un tramway nommé Désir est l’adaptation moderne d’un chef-d’oeuvre.

Un tramway nommé Désir au théâtre des Bouffes Parisiens (2e).
Du 31 janvier au 28 avril 2024.
Du mercredi au samedi à 20h et tous les dimanche à 15h30.

La ménagerie de verre : un quatuor enchanteur

© E.C.

Tom emprunte le même chemin que les spectateurs pour rejoindre la scène du théâtre de Poche-Montparnasse. Il se présente comme le narrateur de La ménagerie de verre et introduit les autres personnages qu’il rejoindra plus tard. La pièce se déroulera dans sa mémoire. Le ton intimiste donné, le public s’immerge dans la modeste demeure de Saint-Louis. Ce foyer pollué par un père absent, et une mère inquiète pour le futur et braquée sur le passée, abrite deux grands enfants. Tandis que le fils s’apprête à fuir l’étouffant cocon familial, la fille s’y réfugie. Tom rêve d’aventure et veut quitter son emploi dans une usine de chaussures. Jeune fille timide entravée par une jambe infirme, Laura vivote entre le tourne disque et les animaux de sa ménagerie de verre. Une lueur d’espoir s’invite chez les Wingfield en la personne de Jim O’Connor. Ce galant déniché par Tom à son travail confronte la famille avec le monde extérieur.

Le décor feutré de Jean-Michel Adam et les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz évoquent les années 1930. Sous une lumière tamisée, une table, des chaises, une banquette et un porte-manteau ramassés sur l’étroite scène, affichent des tons sépia qui suggèrent le souvenir. Charlotte Rondelez met en scène, avec délicatesse, la pièce partiellement autobiographique de Tennessee Williams. Un excellent quatuor porte ce texte émouvant, poétique et drôle. Cristiana Reali irrite et amuse dans le rôle de la mère fantasque qui use, avec sa fille, et abuse, avec son fils, de stratagèmes culpabilisateurs. Quand elle ne leur manifeste pas son amour par la tyrannie, Amanda s’épand sur ses nombreux prétendants de jeune fille. La douce Ophelia Kolb s’évade, elle, dans un monde imaginaire avec Laura et ses figurines cristallines. Charles Templon captive lorsqu’il narre avec panache l’intrigue de la pièce ou sous les traits d’un Tom partant noyer ses tourments au cinéma. Enfin, Félix Beaupérin compose agréablement le personnage annexe de James, un homme moderne. Embarrassé par le piège tendu, Jim n’oppose pas de résistance et s’avère même un fugace allié de la maisonnée. Ces quatre comédiens offrent au public une large palette d’émotion dans une atmosphère empreinte d’angoisse et de fantaisie.

La ménagerie de verre est une pièce qui enchante à tous niveaux, du texte à l’interprétation.

La ménagerie de verre au théâtre de Poche-Montparnasse (14e).
A partir du 4 septembre 2018.
Du mardi au samedi à 21h et les dimanches à 17h30.