Lionnel Astier

Comédien

Drôle de genre : des joutes maritales

En pleine campagne électorale, François s’agace au téléphone quant à une potentielle alliance. Son épouse Carla ouvre son courrier. Elle s’attarde sur une lettre. François attribue la détresse de sa femme à son propre énervement. Elle lui assène une terrible nouvelle. Elle a un cancer de la prostate. Leur soirée à l’opéra avortée, ce couple harmonieux depuis trente ans explose dans Drôle de genre au théâtre de la Renaissance. Horrifié, François rumine sa stupéfaction. Il a vécu heureux tout ce temps, dans le mensonge. Il rabroue Carla avec dégoût. Elle tente de justifier la tardiveté de son aveu, jouant sur la corde sensible de son homme politique de mari. Louise, leur fille adoptive, entre dans l’arène avec des nouvelles accroissant la contrariété de ses parents déjà à bout de nerfs.

La première a eu toute une vie pour se préparer à ce moment tandis que le second n’a bénéficié que d’un court laps de temps pour apprécier la situation. Cette comédie dans l’air du temps éprouve les limites de chacun. L’évolution des mentalités et l’ouverture d’esprit s’applique à autrui, mais exclut l’entourage. Sous couvert d’humour, Jade-Rose Parker dénonce la vision étriquée archaïque d’un homme. Egalement interprète de Louise, elle lui porte le coup de grâce en sondant le public invité à juger le caractère primaire du personnage.

Jérémie Lippmann met en scène les déchainements de cette famille dans un salon cossu surplombé d’un nuage de plumes. La scénographie d’Alissia Blanchard et les élégants costumes de Laurent Mercier illustrent la bourgeoisie des protagonistes. La chevelure raide blonde platine, vêtue d’un corset bustier et jupe en tulle, la gracile Victoria Abril personnifie une poupée. Elle incarne une Carla séductrice déterminée à se confier à son époux François, incarné par l’impétueux Lionnel Astier. Uni depuis trois décennies pour le meilleur, il décèle désormais le pire et remet en cause, point par point, toute cette union. Il bat, aussi, le fer avec Axel Huet qui campe son homologue de la nouvelle génération, compréhensif et tolérant. La succession de débats houleux provoque les rires, certains restent retenus par la délicatesse du sujet abordé. Selon sa sensibilité, un spectateur voit un épilogue pessimiste quand un autre y perçoit l’évocation d’une pièce de Guitry.

Drôle de genre est une comédie actuelle singulière.

Drôle de genre au théâtre de la Renaissance (10e).
Depuis le 25 janvier 2022.
Du mardi au samedi à 21h.

Deux mensonges et une vérité : un jeu furieusement drôle

© E.C.

Cap ou pas cap de surprendre, encore, son mari ? Catherine relève le défi dans Deux mensonges et une vérité au théâtre Rive Gauche. Philippe et elle fêtent leur vingt-sept ans de mariage en tête-à-tête. Galvanisé par cette célébration, il lui fait l’éloge de leur couple si fusionnel et chanceux de ne plus pouvoir se surprendre après tant d’années communes. Elle réfute catégoriquement cette théorie. Pour lui prouver qu’il a raison, Philippe lui propose un jeu. Chacun doit énoncer trois anecdotes contenant deux mensonges et une vérité. Catherine trouve immédiatement la proposition exacte. Philippe plonge dans une incertitude totale. Assisté d’Edouard, son meilleur ami et associé, il s’élance dans un jeu de piste, frôlant l’enquête policière. Les deux compères récoltent vite des indices, fruits de leur imagination débordante et du, non moins expansif, esprit taquin de la partie adverse. Cette accumulation de suppositions embrouille le duo d’avocats dans sa quête d’une preuve formelle. Leurs rencontres avec deux inconnus, pourtant proches de Catherine, n’arrangent pas leurs affaires.

Sébastien Blanc et Nicolas Poiret se réapproprient le jeu deux mensonges et une vérité et signent une comédie jubilatoire. La scène de présentation du couple achevée, les rires s’arrêtent peu. Les auteurs reprennent une intrigue proche de celle de leur précédente pièce Même pas vrai !, déjà très réussie, et surprennent entièrement le public. Leur écriture à quatre mains s’avère efficace, avec des répliques tordantes et originales dans un environnement optimiste. Les quelques doses d’atmosphère juridique, domaine de Philippe, distillées dans la pièce, apportent une plus-value. La scénographie de Stéfanie Jarre compartimente nettement et sommairement les cadres privé et professionnel, avec une cloison amovible quasi rectiligne ou cubique.

Jean-Luc Moreau dirige un formidable trio, laissant agir l’humour avec subtilité ou par des pitreries. En mode envers et contre tous, Lionnel Astier se démène avec fougue dans le rôle de Philippe, un mari animé par son entêtement. Il forme un tandem jouissif avec Frédéric Bouraly, irrésistible en meilleur ami bienveillant au verbe maladroit, une composition pas très éloignée du rôle qu’il campe chaque soir dans Scènes de ménages. Toujours géniale, Raphaëline Goupilleau incarne l’exubérante et mystérieuse Catherine qui se délecte de l’enlisement de son mari. Enfin, avec des partitions moindres, Julien Kirsche, Philippe Maymat et Esther Moreau complètent la distribution dans les rôles des intrigants Samuel et Marc, et de Justine, la fille du couple. Ces comédiens munis d’un texte moderne et hilarant régalent les spectateurs, avec tendresse, complicité et fantaisie.

Deux mensonges et une vérité est une comédie garante d’une soirée réussie.

Deux mensonges et une vérité au théâtre Rive Gauche (14e).
Depuis le 17 janvier 2018.
Du mardi au samedi à 21h et les dimanches à 15h.