Thomas Gendronneau

Comédien

2023 : lauréat du Molière de la révélation masculine pour Glenn, naissance d’un prodige

Molières 2023 : carton plein pour Oublie-moi

La 34ème Nuit des Molières s’est déroulée ce lundi 24 avril 2023, au théâtre de Paris. Alexis Michalik présentait la cérémonie diffusée en différé, à partir de 21h10 sur France 3.

Auréolée du Molière du Théâtre privé, Oublie-moi a été largement plébiscitée. Thierry Lopez et Marie-Julie Baup ont respectivement reçu les Molières du comédien et de la comédienne et conjointement celui de la mise en scène dans un spectacle de Théâtre privé.

Sacré dans la catégorie Théâtre public, Le bourgeois gentilhomme a raflé trois statuettes. Christian Hecq a été récompensé comme comédien et pour sa mise en scène, avec Valérie Lesort. La Comédie-Française a également remporté le Molière du jeune public, pour La reine des neiges, l’histoire oubliée. Côté théâtre public, Sara Giraudeau a été récompensée pour son rôle dans Le syndrome de l’oiseau.

Pour plusieurs productions, les prix allaient par paire. Une idée géniale a raflé les Molières de la comédie et de la comédienne dans un second rôle, remis à Agnès Boury. L’Académie a salué les révélations de Glenn, naissance d’un prodige : Thomas Gendronneau et Lison Pennec. Starmania a décroché les Molières du spectacle musical et de la création visuelle et sonore. Les poupées persanes a obtenu ceux de l’auteur.trice francophone vivant.e, pour Aïda Asgharzadeh, et du comédien dans un second rôle, pour Kamel Isker.

Respectivement lauréates du Molière de l’humour, pour Ça passe, et de celui du seul.e en scène, pour Tout le monde savait, Laura Felpin et Sylvie Testud complètent le palmarès. Malgré leurs cinq nominations chacune, Big Mother et Je ne cours pas, je vole ! sont rentrées bredouille, tout comme Lorsque l’enfant paraît, nommée dans quatre catégories.

Des manifestants venus à l’appel de la CGT spectacle, « remettre à Rima Abdul-Malak le Molière de la Casserole et du Pipeau », accueillaient bruyamment les participants, armés d’un drapeau : « Un violent désir de bonheur. » La ministre de la culture a répondu à deux artistes qui l’interpellaient au cours de la soirée, au sujet de la reforme des retraites. Désireux de proposer une cérémonie expéditive, Alexis Michalik a sermonné les récipiendaires, allant jusqu’à empêcher Luc Plamandon de s’exprimer, au grand dam des internautes.

Palmarès de la 34e nuit des Molières

Molière du Théâtre privé
(remis par Jean-Marc Dumontet)
Big Mother
Glenn, naissance d’un prodige
Oublie-moi
Les poupées persanes

Molière du Théâtre public
(remis par Jean-Marc Dumontet)
Amours (2)
Le bourgeois gentilhomme
Je ne cours pas, je vole !
La vie est une fête

Molière de la comédie
(remis par Claudia Tagbo)
Lorsque l’enfant paraît
No Limit
Le retour de Richard 3 par le train de 9h24
Une idée géniale

Molière de la création visuelle et sonore
(remis par Camille Etienne et Florent Peyre)
Big Mother
Le bourgeois gentilhomme
Smile
Starmania

Molière du spectacle musical
(remis par Claudia Tagbo)
Les Coquettes – Merci Francis
Moi aussi je suis Barbara
Starmania
Tous les marins sont des chanteurs

Molière de l’humour
(remis par Marina Rollman)
Florence Foresti dans Boys Boys Boys
Laura Felpin dans Ça passe
Manu Payet dans Emmanuel 2
Stéphane Guillon dans Sur scène

Molière du jeune public
(remis par Camille Etienne et Florent Peyre)
Gretel, Hansel et les autres
Odyssée : la conférence musicale
La reine des neiges, l’histoire oubliée
Space Wars

Molière du seul.e en scène
(remis par Pierre Richard)
Coming out, avec Mehdi Djaadi
Il n’y a pas de Ajar, avec Johanna Nizard
Thomas joue ses perruques – Deluxe édition, avec Thomas Poitevin
Tout le monde savait, avec Sylvie Testud

Molière du comédien dans un spectacle de Théâtre privé
(remis par Valérie Lesort et Amanda Lear)
Sébastien Castro dans Une idée géniale
Michel Fau dans Lorsque l’enfant paraît
Jean Franco dans La Délicatesse
Thierry Lopez dans Oublie-moi

Molière de la comédienne dans un spectacle de Théâtre privé
(remis par Aïda Asgharzadeh et Kyan Khojandi)
Marie-Julie Baup dans Oublie-moi
Catherine Frot dans Lorsque l’enfant paraît
Isabelle Gélinas dans Les humains
Marie Gillain dans Sur la tête des enfants

Molière du comédien dans un spectacle de Théâtre public
(remis par Valérie Lesort et Amanda Lear)
Jacques Gamblin dans HOP !
Christian Hecq dans Le bourgeois gentilhomme
Denis Podalydès dans Le roi Lear
Laurent Stocker dans L’Avare

Molière de la comédienne dans un spectacle de Théâtre public
(remis par Aïda Asgharzadeh et Kyan Khojandi)
Isabelle Carré dans La campagne
Sara Giraudeau dans Le syndrome de l’oiseau
Catherine Hiegel dans Music-Hall
Isabelle Huppert dans La Ménagerie de verre

Molière de la mise en scène dans un spectacle de Théâtre privé
(remis par Thomas Jolly)
Marie-Julie Baup et Thierry Lopez pour Oublie-moi
Michel Fau pour Lorsque l’enfant paraît
Mélody Mourey pour Big Mother
Régis Vallée pour Les poupées persanes

Molière de la mise en scène dans un spectacle de Théâtre public
(remis par Irina Brook)
Jean Bellorini pour Le Suicidé, vaudeville soviétique
Johanna Boyé pour Je ne cours pas, je vole !
Christian Hecq et Valérie Lesort pour Le bourgeois gentilhomme
Joël Pommerat pour Amours (2)

Molière de la révélation féminine
(remis par Marie Gillain et Alex Vizorek)
Vanessa Cailhol dans Je ne cours pas, je vole !
Léa Lopez dans La reine des neiges, l’histoire oubliée
Anna Mihalcea dans Les filles aux mains jaunes
Lison Pennec dans Glenn, naissance d’un prodige

Molière de la révélation masculine
(remis par Marie Gillain et Alex Vizorek)
Alexandre Faitrouni dans Smile
Thomas Gendronneau dans Glenn, naissance d’un prodige
Mexianu Medenou dans Tropique de la violence
Thomas Poitevin dans Thomas joue ses perruques – Deluxe édition

Molière du comédien dans un second rôle
(remis par Ariane Mourier et Nicolas Lumbreras)
Kamel Isker dans Les poupées persanes
Jérôme Kircher dans Biographie : un jeu
Benjamin Lavernhe dans La dame de la mer
Bernard Malaka dans Glenn, naissance d’un prodige
Teddy Mélis dans Le voyage de Molière
Christophe Montenez dans Le roi Lear

Molière de la comédienne dans un second rôle
(remis par Ariane Mourier et Nicolas Lumbreras)
Agnès Boury dans Une idée géniale
Manon Clavel dans La campagne
Marina Hands dans Le roi Lear
Karina Marimon dans Big Mother
Élodie Menant dans Je ne cours pas, je vole !
Josiane Stoléru dans Glenn, naissance d’un prodige

Molière de l’auteur.trice francophone vivant.e
(remis par Irina Brook et Simon Abkarian)
Aïda Asgharzadeh pour Les poupées persanes
Ivan Calbérac pour Glenn, naissance d’un prodige
Léonore Confino pour Le village des sourds
Élodie Menant pour Je ne cours pas, je vole !
Mélody Mourey pour Big Mother
Joël Pommerat pour Amours (2)

Glenn, naissance d’un prodige : Variations Gould

Pianiste de renommée internationale, le destin de Glenn Gould ne doit rien au hasard. L’ambition maternelle alliée au perfectionnisme du musicien doté de l’oreille absolue tissent la genèse de Glenn, naissance d’un prodige, au Splendid. Formaté par sa mère dès sa plus tendre enfance, le jeune Canadien doué ne tardera pas à imposer son style, adoptant notamment une posture voûtée. In utero déjà, Flora Gould projetait sur son fils sa carrière de concertiste avortée par son père. Choyé et surprotégé par un entourage qui lui concède toutes ses manies, l’adolescent chétif et hypocondriaque prospère dans son art, lui sacrifiant sa vie personnelle. Rongé par ses névroses et acculé par sa peur du public, l’excentrique pianiste se renferme peu à peu sur lui-même. En 1964, il quitte la scène à l’âge de 32 ans, pour se consacrer jusqu’à sa mort en 1982, aux enregistrements en studio et à la production d’émissions de radio.

Culminant en tête des nominations aux Molières 2023, la pièce pourrait récolter six statuettes dont celle du Théâtre privé et celle de l’auteur francophone vivant. Ivan Calbérac transcende la biographie pour s’attacher à cet être au parcours hors du commun, probablement atteint de trouble du spectre de l’autisme. Ce syndrome non verbalisé se lit en filigrane tout au long de l’intrigue qui s’attarde sur le lien toxique qui unit l’artiste à sa mère. L’auteur et metteur en scène dépeint l’enfant puis l’homme dans des scènes teintées d’ironie. Quand un agent de la Columbia lui demande s’il pratique beaucoup, Glenn rétorque par la négative, déplorant que sa mère le limite à cinq heures de pratique par jour.

L’intrigue balaie plus de quatre décennies, jalonnées par les costumes, aujourd’hui vintage, griffés Bérangère Roland. La scénographie de Juliette Azzopardi et Jean-Benoît Thibaud s’axe autour d’une large fenêtre avec vue sur la nature torontoise ou sur le pont de Brooklyn, qui se transforme même en studio de radio.

Impressionnant, Thomas Gendronneau compose les contradictions de l’iconoclaste Glenn Gould, de nature timorée, intransigeant pour imposer ses choix musicaux, avide de solitude et entouré de personnes aimantes et bienveillantes. La sémillante Lison Pennec prête ses traits à l’une d’elles : Jessie Greig, sa cousine, amoureuse en quête de réciprocité. Véritable rayon de soleil face à l’exigence qui règne dans la famille, cette jeune fille battue par son père, étrillé par sa tante et rabaissée pour son insignifiance, peine à construire sa vie dans l’ombre du virtuose. Tous deux sont en lice pour les Molières de la révélation masculine et féminine, tandis que les interprètes des parents du pianiste concourront pour ceux de la comédienne et du comédien dans un second rôle. Josiane Stoléru, désormais en alternance avec Raphaëline Goupilleau, et Bernard Malaka forment un couple détonant tout entier dévoué à son fils unique arrivé sur le tard après une dizaine de fausses couches. Savoureusement irritante en mère possessive, la première brille par les excès d’une Flora Gould, épaulée par son mari Bert. Plus nuancé, le second incarne ce père qui se voit en Laïos et assume son rôle passif dans la famille. Michel Scotto Di Carlo campe en alternance avec Benoît Tachoires, l’imprésario compréhensif Walter Homburger, un psychanalyste et un vendeur de piano. Enfin Stéphane Roux, truculent dans ses imitations de l’accent québécois et sa futilité, interprète Ray Robertson, un journaliste radio, un serveur, un présentateur et Howard Scott. Dans l’intimité de celui qui vendit autant de disque de ses enregistrements des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach que les plus grandes rock star, le public assiste à une fulgurante ascension programmée et à ses répercussions.

Glenn, naissance d’un prodige est une pièce séduisante et aussi inclassable que son héros.

Glenn, naissance d’un prodige au Splendid (10e).
Depuis le 25 janvier 2023.
Du mardi au samedi, à 21h, les samedis à 16h30 et les dimanches à 15h.

Molières 2023 : les nommés sont…

La liste des nominations pour de la 34ème Nuit des Molières a été annoncée ce jeudi 30 mars, à l’occasion d’une conférence de presse à l’Hôtel de Ville de Paris. La cérémonie présentée par Alexis Michalik, se déroulera le lundi 24 avril 2023 au théâtre de Paris, et sera retransmise sur France 3.

Molière du Théâtre Privé
Big Mother
Glenn, naissance d’un prodige
Oublie-moi
Les Poupées persanes

Molière du Théâtre Public
Amours (2)
Le Bourgeois gentilhomme
Je ne cours pas, je vole !
La vie est une fête

Molière de la comédie
Lorsque l’enfant paraît
No Limit
Le Retour de Richard 3 par le train de 9h24
Une idée géniale

Molière de la création visuelle et sonore
Big Mother
Le Bourgeois gentilhomme
Smile
Starmania

Molière du spectacle musical
Les Coquettes – Merci Francis
Moi aussi je suis Barbara
Starmania
Tous les marins sont des chanteurs

Molière de l’humour
Florence Foresti dans Boys Boys Boys
Laura Felpin dans Ça passe
Manu Payet dans Emmanuel 2
Stéphane Guillon dans Sur scène

Molière du jeune public
Gretel, Hansel et les autres
Odyssée : la conférence musicale
La Reine des neiges, l’histoire oubliée
Space Wars

Molière du seul.e en scène
Coming out, avec Mehdi Djaadi
Il n’y a pas de Ajar, avec Johanna Nizard
Thomas joue ses perruques – Deluxe édition, avec Thomas Poitevin
Tout le monde savait, avec Sylvie Testud

Molière du comédien dans un spectacle de Théâtre privé
Sébastien Castro dans Une idée géniale
Michel Fau dans Lorsque l’enfant paraît
Jean Franco dans La Délicatesse
Thierry Lopez dans Oublie-moi

Molière de la comédienne dans un spectacle de Théâtre privé
Marie-Julie Baup dans Oublie-moi
Catherine Frot dans Lorsque l’enfant paraît
Isabelle Gélinas dans Les Humains
Marie Gillain dans Sur la tête des enfants

Molière du comédien dans un spectacle de Théâtre public
Jacques Gamblin dans HOP !
Christian Hecq dans Le Bourgeois gentilhomme
Denis Podalydès dans Le Roi Lear
Laurent Stocker dans L’Avare

Molière de la comédienne dans un spectacle de Théâtre public
Isabelle Carré dans La Campagne
Sara Giraudeau dans Le Syndrome de l’oiseau
Catherine Hiegel dans Music-Hall
Isabelle Huppert dans La Ménagerie de verre

Molière de la mise en scène dans un spectacle de Théâtre privé
Marie-Julie Baup et Thierry Lopez pour Oublie-moi
Michel Fau pour Lorsque l’enfant paraît
Mélody Mourey pour Big Mother
Régis Vallée pour Les Poupées persanes

Molière de la mise en scène dans un spectacle de Théâtre public
Jean Bellorini pour Le Suicidé, vaudeville soviétique
Johanna Boyé pour Je ne cours pas, je vole !
Christian Hecq et Valérie Lesort pour Le bourgeois gentilhomme
Joël Pommerat pour Amours (2)

Molière de la révélation féminine
Vanessa Cailhol dans Je ne cours pas, je vole !
Léa Lopez dans La Reine des neiges, l’histoire oubliée
Anna Mihalcea dans Les Filles aux mains jaunes
Lison Pennec dans Glenn, naissance d’un prodige

Molière de la révélation masculine
Alexandre Faitrouni dans Smile
Thomas Gendronneau dans Glenn, naissance d’un prodige
Mexianu Medenou dans Tropique de la violence
Thomas Poitevin dans Thomas joue ses perruques – Deluxe édition

Molière du comédien dans un second rôle
Kamel Isker dans Les Poupées persanes
Jérôme Kircher dans Biographie : un jeu
Benjamin Lavernhe dans La Dame de la mer
Bernard Malaka dans Glenn, naissance d’un prodige
Teddy Mélis dans Le Voyage de Molière
Christophe Montenez dans Le Roi Lear

Molière de la comédienne dans un second rôle
Agnès Boury dans Une idée géniale
Manon Clavel dans La Campagne
Marina Hands dans Le Roi Lear
Karina Marimon dans Big Mother
Élodie Menant dans Je ne cours pas, je vole !
Josiane Stoléru dans Glenn, naissance d’un prodige

Molière de l’auteur.trice francophone vivant.e
Aïda Asgharzadeh pour Les Poupées persanes
Ivan Calbérac pour Glenn, naissance d’un prodige
Léonore Confino pour Le Village des sourds
Élodie Menant pour Je ne cours pas, je vole !
Mélody Mourey pour Big Mother
Joël Pommerat pour Amours (2)

Parmi les 256 spectacles éligibles, 46 sont nommés dans au moins une des dix-neuf catégories.

(suite…)

Les Damnés : choc au Français

© E.C.

© E.C.

Les réalisateurs puisent régulièrement leurs inspirations au théâtre, comme en témoigne Juste la fin du monde, le dernier film de Xavier Dolan. La réciproque se confirme au Français, avec Les Damnés de Luchino Visconti. Après une création cet été au festival d’Avignon, Ivo van Hove monte l’adaptation du drame germano-italien dans l’espace plus confiné de la Salle Richelieu. Le metteur en scène belge utilise abondamment la vidéo. Des cadreurs se déplacent sur les planches et saisissent au plus près les émotions des comédiens. La pièce s’ouvre par une présentation des personnages en gros plan sur l’écran géant placé au fond de la scène. Assis devant une coiffeuse de star, le baron Joachim von Essenbeck (Didier Sandre), patriarche, directeur des aciéries Essenbek regarde le portrait de son fils ainé mort à la guerre. Derrière lui, Janek (Sébastien Baulain) vêt Konstantin (Denis Podalydès), le second fils de Joachim. Sophie (Elsa Lepoivre), veuve du héros de guerre, affuble son fils Martin (Christophe Montenez) d’accessoires féminins. Herbert Thallman (Loïc Corbery), vice-président des aciéries Essenbek s’inquiète, tandis que son épouse Elisabeth (Adeline d’Hermy), la nièce de Joachim, peaufine son maquillage. Entrent, alors, Friedrich Bruckmann (Guillaume Gallienne), directeur technique des aciéries Essenbek et amant de Sophie, et Wolf von Aschenbach (Éric Génovèse), haupsturmführer des SS et membre de la famille. Ils conspirent ensemble, en vue d’un prochain mariage. Les cris d’Erika et Thilde, les filles d’Herbert et Elisabeth Thallman, interrompent les sombres dialogues. Les fillettes se précipitent vers Günther (Clément Hervieu-Léger), unique fils de Konstantin, qui joue de la clarinette basse. Tous trois lancent les festivité de l’anniversaire de Joachim. Les réjouissances sont de courtes durées et s’achèvent lorsque la famille apprend l’incendie du Reichstag.

Les rivalités familiales et la succession des décès évoque la tragédie grecque. Ivo van Hove expose nettement les rouages de cette dernière dans sa mise en scène. A chaque nouveau deuil, le sifflet d’une locomotive à vapeur résonne dans la salle. Des comédiens, dont la quantité varie, viennent se placer en quinconce au centre de la scène tels des pions d’un échiquier pendant que la victime rejoint son tombeau. Cette répétition accentue le drame. Les effusions de sang, en revanche, prêtent plutôt à rire, notamment lorsqu’un personnage verse un seau de liquide rouge sur un autre afin de le tuer.

Deux atmosphères s’opposent dans la pièce, clairement marquées dans la scénographie de Jan Versweyveld. La scène s’avère dénuée de décor, exception faite de l’écran géant. Les extrémités arborent, en revanche, cinq cercueils alignés, coté cour et le cadre glamour d’un studio hollywoodien, côté jardin. Les costumes raffinés d’An D’Huys s’accordent avec l’élégance de cet espace d’agrément. Des uniformes SS et SA suppléent, au fur et à mesure, les smoking et robes de soirée. Les Damnés traite, avant tout, de la naissance du nazisme. Des images d’archives s’intercalent aux projections des vidéos filmées en direct et à celles réalisées en amont par Tal Yarden. Des légendes s’inscrivent au bas de ces extraits historiques en noir et blanc. « Dachau, petite ville bavaroise, premier camp de concentration nazi, peuvent lire les spectateurs qui l’ignoreraient, 41 500 personnes y sont assassinées. » Aucun sous-titre ne s’incruste, en revanche, lorsque les comédiens s’expriment en allemand.

Le scénario du film sorti en 1970, coécrit par Nicola Badalucco, Enrico Medioli et Luchino Visconti, entre au répertoire de la Comédie-Française. L’institution propose majoritairement des œuvres classiques plébiscitées par un public composé d’habitués et d’occasionnels confiants. Ici, la découverte ne réside pas dans le texte, mais dans la mise en scène largement empreinte de la patte d’Ivo van Hove. Habillage sur scène, omniprésence de la vidéo, longues scènes de nudité et terrifiant final, il abuse des phénomènes de mode d’ordinaire tenus à distance des prudes regards de l’assemblée du Français. Simul et singulis, la devise reste de rigueur, puisque malgré l’étonnement généré par quelques choix de direction, la troupe ravit et excelle, comme toujours, dans son interprétation.

Les Damnés est une adaptation surprenante, outrancière et heurtante qui ne laisse pas indifférent.

Les Damnés à la Comédie-Française (1er).
Du 24 septembre 2016 au 13 janvier 2017.

Marie Tudor : Reali enivrée par la passion, mue par la vengeance

© E.C.

© E.C.

« Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie. » Ces vers que François Ier aurait gravé sur les vitraux de Chambord résument bien Marie Tudor de Victor Hugo. Simon Renard les reprend sur la scène de La Pépinière Théâtre, pour évoquer le comportement de la reine d’Angleterre. Seuls ces deux derniers personnages appartiennent à l’Histoire, les dix autres sont inventés.

Londres, 1553. Marie Tudor, reine d’Angleterre découvre que son amant l’aventurier Fabiano Fabiani la trompe avec Jane (Jade Fortineau). Cette orpheline doit épouser l’ouvrier-ciseleur Gilbert (Philippe Calvario en alternance avec Benjamin Guillet), qui l’a recueillie enfant. Par vengeance, la reine accuse son amant de régicide, avec le concours de Gilbert. Les deux hommes sont alors condamnés à mort. Au dernier moment, la reine tente de sauver Fabiani, tandis que Jane élabore l’évasion de Gilbert. Un des deux hommes ne reviendra pas de l’échafaud.

Victor Hugo raille le fervent catholicisme de la reine et le caractère dédaigneux de la cour envers les gens du sud de l’Europe. Philippe Calvario s’empare du texte dans une mise en scène moderne et rock ‘n’ roll. Sous les habits d’un bourreau, Thomas Gendronneau dégaine sa guitare électrique pour accentuer certains passages ou le temps d’un changement de décor. La scénographie très esthétique se compose de panneaux transparents mobiles disposés de façon symétrique. Pour les costumes, Alain Lagarde opte également pour la modernité avec des vêtements dépareillés, des lords vêtus de cuir et les cols ceints de collerettes, un valet en veste et pantalon bouffant, un ouvrier en guenille et une reine étincelante dans une robe dorée.

Parfaite en femme capricieuse, jalouse, Cristiana Reali campe une amoureuse tourmentée par sa passion pour un beau rital. Dans sa mise en scène, Philippe Calvario privilégie la romance à la grandeur de la souveraine surnommée « Marie la Sanglante ». La noblesse de la cour se reflète plus dans le rôle de Simon Renard, l’ambassadeur du roi d’Espagne. Régis Laroche incarne, en alternance avec Pierre-Alain Leleu, le conspirateur, le garant d’un royaume qui n’est pas le sien. Il ne manque pas d’alliés parmi les lords anglais (Anatole de Bodinat, Stanislas Perrin, Robin Goupil et Valentin Fruitier) qui méprisent Fabiani et trouve un complice de choix en la personne de Maître Enéas (Pierre Estorges), le propre valet de la reine. Du fougueux Fabiano Fabiani (Jean-Philippe Ricci), amant déchu au bienveillant Joshua (Jean-Claude Jay), porte-clefs à la tour de Londres, douze comédiens s’approprient admirablement les personnages.

Marie Tudor est une tragi-comédie rock ‘n’ roll qui surprend maintes fois, déride quelquefois mais ne déçoit pas.

Marie Tudor à La Pépinière Théâtre (2e).
A partir du 30 janvier 2015.
Du mardi au samedi à 21h et les samedis à 16h.