Théâtre Antoine

14 boulevard de Strasbourg. Paris (10e)

Le cercle des poètes disparus : une ode à la liberté de pensée

Un prélude rock ‘n’ roll accueille le public du théâtre Antoine. Les élèves de l’Académie Welton invitent les spectateurs à les rejoindre sur scène pour danser au rythme des sixties. Les festivités terminées, les jeunes hommes retrouvent le prestigieux établissement pour une nouvelle année scolaire dans Le cercle des poètes disparus. Ils font la connaissance de leur nouveau professeur de littérature, charismatique et iconoclaste, John Keating. « Oh Capitaine, mon Capitaine… », les engage t-il à l’appeler dès son premier cours. Désireux de les dégager du carcan des conventions qu’incarne leur pensionnat, il les accompagne vers leur émancipation, en leur inculquant l’importance du libre arbitre. Face à ces jeunes gens médusés, il déconstruit les cours et leur insuffle : « Carpe Diem. » Galvanisé par l’enseignement de ce professeur, une poignée d’élèves refonde le cercle des poètes disparus, une confrérie à laquelle appartenait leur « capitaine » lorsqu’il étudiait à Welton.

Gérald Sibleyras conserve la « substantifique moelle » du scénario de Tom Schulman. Son adaptation de Dead Poets Society, film sorti en 1989 et devenu culte, ravive les souvenirs de ceux qui ont grandi et étudié avant l’avènement d’internet et offre une belle découverte aux autres charmés par l’empreinte désuète de l’intrigue. Olivier Solivérès signe une mise en scène efficace dans la scénographie minimaliste de Jean-Michel Adam. Devant un gigantesque tableau noir, les élèves déplacent leurs pupitres de scène en scène, proposant au public des points de vues différents sur cette salle de classe à la configuration changeante.

Le fantasque Stéphane Freiss s’approprie brillamment le rôle de John Keating, professeur anticonformiste et inspirant. Il déploie son excentricité sous le regard suspicieux de Mr. Nolan (Yvan Garouel), le proviseur. Une franche camaraderie uni les huit élèves aux uniformes impeccables. Neil Perry (Ethan Oliel) est tiraillé entre ses propres aspirations et celles que son père (Olivier Bouana) projette pour lui. Steven Meeks (Pierre Delage), le bon camarade, ne comprend aucune allusion à la gent féminine, tandis que le fleur bleue Richard Overstreet (Maxime Huriguen) ne pense qu’à Christine. Il y a également Todd Anderson (Hélie Thonnat), le nouveau venu d’une timidité maladive, Charlie Dalton (Audran Cattin), la tête brûlée, Gary Cameron (Maxence Seva), le bon élève rapporteur, ou encore Mr. Wellington (Arthur Toullet) et Mr. Hartmann (Joseph Hartmann). Face à leurs destins, ces garçons « cueillent le jour. » Ces huit comédiens composent subtilement la jeunesse dorée conservatrice américaine. Devant l’acclamation de public, Stéphane Freiss les entraîne, plus assuré, à apprécier leur triomphe. L’émotion demeure palpable après une scène finale quasiment identique à celle du film d’autant plus poignante en direct.

Le cercle des poètes disparus est une création nostalgique.

Le cercle des poètes disparus au théâtre Antoine (10e).
Depuis le 24 janvier 2024.
Du mercredi au samedi à 21h, les samedis et dimanches à 16h.

Les enfants du silence : pédagogie sur les planches

© E.C.

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Reprise hors les murs pour la troupe de la Comédie-Française. Le théâtre Antoine l’accueille pour trente-sept représentations, avec Les enfants du silence. Créée au Vieux-Colombier en avril 2015, la pièce popularisée par le film oscarisé de Randa Haines en 1986 plaide pour le droit à la différence. Jacques Leeds apprend la langue parlée aux élèves d’une école pour sourds et malentendants. Dans sa démarche, l’orthophoniste se heurte à Sarah Norman, une ancienne élève devenue femme de ménage qui refuse de se conformer aux entendants. Une histoire d’amour nait entre les deux et se poursuit sous le regard réprobateur de leur entourage.

Cette idylle couvre une longue période. Anne-Marie Etienne opte pour une mise en scène en huit décors et quatorze changements. Cette cadence affaiblit l’émotion qui se dégage des scènes. Chaque abaissement de rideau déconnecte progressivement le public de l’intrigue. Adapté en français par Jean Dalric et Jacques Collard, Children of a Lesser God remplit néanmoins sa mission. L’oeuvre du dramaturge américain Mark Medoff vise essentiellement à sensibiliser les spectateurs à l’univers des sourds et des malentendants. Cette leçon de vie éblouie surtout par les prestations des comédiens du Français.

L’indomptable Françoise Gillard ne dispose que de son corps pour manifester les pensées et les sentiments de Sarah Norman. Son amoureux, Jacques Leeds (le pédagogue Laurent Natrella) s’épuise dans sa position de passerelle entre les deux mondes. Élèves appliqués de l’école, Elliot Jenicot et Anna Cervinka, eux, font entendre les voix des malentendants. Ils reproduisent avec justesse les difficultés d’élocution de l’activiste Denis et de la séductrice Lydia. Deux entendants gravitent dans le cocon de Sarah : sa mère (la sévère Catherine Salviat) et Monsieur Franklin (le formel Alain Lenglet), le directeur de l’école, figures de la culpabilité et de l’autorité. Seule entendante qui ne signe pas, Coraly Zahonero allie charme et maladresse dans le rôle de Madame Klein, l’avocate. La gêne de ce personnage non initié incapable de communiquer avec ses clients englobe celle des spectateurs qui requièrent un interprète pour comprendre les échanges en langue des signes.

Les enfants du silence est un drame pédagogique remarquable par la performance des comédiens.

Les enfants du silence au théâtre Antoine (10e).
Du 17 janvier au 28 février 2017.
Du mardi au samedi à 21h et les dimanches à 15h.

Peau de vache : boulevard et nostalgie

© E.C.

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Les trois coups si rarement frappés précédent la représentation de Peau de vache au théâtre Antoine. Ils annoncent cette comédie de Barillet et Grédy et une soirée dans l’esprit d’Au théâtre ce soir. Marion surnommée « Peau de vache » régit la vie d’Alexis, son maestro de mari depuis des années. L’arrivée de Pauline, une jeune journaliste, chamboule l’harmonie du couple et de leur demeure nichée au cœur de la campagne. Michel Fau choisit de situer l’action en 1975, date de création de la pièce, dans une atmosphère kitchissime, plus seventies encore qu’à l’époque. Entre deux scènes, lorsque le rideau s’abaisse, outre les informations temporelles, des motifs psychédéliques l’envahissent au rythme des chansons de Nana Mouskouri, Sheila ou encore Dalida.

« Un’ jolie fleur dans une peau d’vache / Un’ jolie vach’ déguisée en fleur », chantait Georges Brassens. Bernard Fau mise sur une ambiance flower power pour sa scénographie. Il n’a pas lésiné sur la verdure avec un décor surchargé où des éléments coulissent et s’ajoutent, sans cesse, de part et d’autre.

« T’as quinze centimes, vas t’acheter un pain de chocolat », s’avère la seule réplique accueillie par une manifestation franche de l’assemblée. Il fallait une distribution de choix pour compenser la faiblesse d’un texte qui, bien que rajeunit, ne provoque que quelques rires diffus. L’inimitable Chantal Ladesou sert une Marion à son image. Anne Bouvier compose une Pauline outrancière. Entre ces deux furies, Gregoire Bonnet interprète le lâche époux et ravit dans un registre plus sobre. Peu gâté par les costumes de David Belugou, il fait sien le proverbe « le ridicule ne tue pas », entre un pantalon rayé aux couleurs criardes et un ensemble imprimé façon tapisserie. La pièce s’enlise dans les exagérations à tous les niveaux. Les apparitions de Maxime Lombard, en voisin acariâtre et de Roland Menou, en vétérinaire porté sur la bouteille, donnent un peu de souffle. Face à une intrigue qui manque de panache, cette mise en scène en offre malheureusement trop. La présentation de la troupe à l’issue de la représentation laisse les spectateurs sur une note positive, même si les décors n’étaient pas de Roger Harth, ni les costumes de Donald Cardwell.

Peau de vache est une comédie surannée ornée d’excessifs artifices.

Peau de vache au théâtre Antoine (10e).
Du 8 septembre au 31 décembre 2016.
Du mardi au samedi à 21h et les samedis et dimanches à 16h.