La maison de Bernarda Alba : violence et esthétisme

© E.C.

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La maison de Bernarda Alba entre au répertoire de la Comédien-Française, près de quatre-vingt ans après son écriture. Longtemps censuré, ce drame de Federico García Lorca dénonçant la société verrouillée sous le régime de Franco se focalise sur les femmes dans les années 1930, en Andalousie. Bernarda Alba impose un deuil de huit ans à sa famille à la mort de son second époux. Agées de 20 à 39 ans, chacune de ses cinq filles appréhende différemment cette nouvelle vie en captivité. Angustias (Anne Kessler), l’ainée, issue du premier mariage de Bernarda Alba et seule pourvue d’une importante dot, prépare son mariage avec Pepe le Romano. L’ombre de cet homme dans la maison déchaine les jalousies : celle d’Adela, éprise du jeune homme et celle de Martirio (Jennifer Decker), persuadée qu’elle ne se mariera jamais à cause des années de veuvage.

Dans un style mauresque, une dentelle en fer cloisonne l’espace. Dans ce décor conçu par Andrew D. Edwards, Lilo Baur dirige la troupe avec esthétisme, notamment lors des scènes sans dialogue. Derrière leurs fins barreaux, les filles observent le départ des hommes « aux champs » ou la lapidation d’une fille-mère infanticide. Ces scènes extérieures en filigrane accentuent l’oppression de ces femmes recluses dans la demeure familiale. La metteur en scène suisse choisit, en outre, d’utiliser la musique originale de Mich Ochowiak d’une façon cinématographique, pour appuyer certaines répliques et de faire monter sur scène Pepe le Romano. Objet du désir, ce personnage bien qu’omniprésent dans le texte, reste normalement absent.

Dans cette société conservatrice, alors que les hommes travaillent, les femmes brodent autour de l’imposante robe de mariée d’Angustias qui trône sur un mannequin. Elle représente, avec la robe de jeune fille d’Adela, la seule tenue lumineuse créée par Agnès Falque. L’ensemble des autres costumes sobres et sombres siéent au deuil.

Elsa Lepoivre est épatante dans le rôle de Poncia, l’employée de maison qui conseille et met en garde les membres de la famille. Toujours magistrale, Cécile Brune campe l’impitoyable Bernarda, soucieuse des apparences et des traditions. Qu’elle tourbillonne dans une pluie de plumes ou batifole sous une averse avec Elliot Jenicot (l’ombre de Pepe le Romano), la délicate Adeline d’Hermy incarne Adela, la benjamine, un petit oiseau désireux de s’échapper de sa cage. Enfin, la délicieuse Florence Viala endosse le rôle de Maria Josefa, dont la sénilité provoque tantôt les rires, tantôt l’effroi avec ses divagations prémonitoires. Ce personnage partage avec les servantes à la langue bien pendue l’humour de cette pièce engagée et militante écrite par Federico García Lorca en 1936, deux moins seulement avant qu’il ne soit fusillé par les franquistes.

La maison de Bernarda Alba est un drame violent et esthétique à la distribution impeccable.

La maison de Bernarda Alba à la Comédie-Française (1er).
Du 23 mai au 25 juillet 2015.

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