J’habite ici : un voisinage ultra-caricatural

« Je n’aime pas le théâtre », décrète Jacqueline Carminel. Le malaise s’insinue dans l’assistance, dès le prologue de J’habite ici, au théâtre du Rond-Point. Jean-Michel Ribes s’affranchit ouvertement du politiquement correct pour édifier son microcosme à l’échelle d’un immeuble sobrement croqué par Emmanuelle Favre. La façade du bâtiment aux multiples fenêtres se scinde en deux au gré de la mise en scène de l’auteur. Dans une farandole de sketches, il arbore une palette de personnages caricaturaux interprétés par dix comédiens majoritairement colorés sous la griffe de Juliette Chanaud. Fil rouge, Annie Grégorio conserve son rôle de Madame Janine, la concierge. D’ordinaire si facétieuse, elle se contente ici de promener la poubelle, répliquant parfois des inepties aux habitants.

Madame Proprino, critique en manque de sa dose d’alexandrins, virevolte, sous les traits de la grinçante Marie-Christine Orry, ulcérée par son infection urinaire. Inquiet, Léon Carminel craint que Karim (Jean Joudé), le soupirant de sa fille Marie (Alice de Lencquesaing) ne l’expédie en Syrie. Philippe Magnan hérite de cet odieux personnage et de Michel, le plombier pataud et d’Étienne Feuillade, un maire dont les flatulences prédisent l’ascension de la gauche dans les urnes. Sylviane (Manon Chircen), l’épouse de l’édile, se réjouit que leur fils Jean-Marie soit épris d’un policier. Jean-Claude, ce gendre providentiel, s’avère marié à une infirmière qu’il juge prétentieuse depuis les applaudissements aux soignants. Stéphane Soo Mongo revêt l’uniforme de ce représentant des forces de l’ordre mais aussi ceux d’Henri, artisan victime de racisme, du guilleret SDF Napoléon et du coach de vie. Adeptes du véganisme et de la méditation, Gandji et Ajda Level appellent leurs voisins, Raymond (Charly Fournier) et Rose Bouchardol, à la rescousse pour revigorer Kantia, affaiblie par le jeûne et ragaillardie par de la mayonnaise. Ils interrompent le dîner partagé avec Monsieur Larcher, lancé dans une croisade haineuse et insensée contre les écologistes. Romain Cottard troque le rôle de cet excité de la gâchette pour celui du bobo François Lacoste et de Florian Tambier de Lisle qui, avec son épouse Aglaé, surjoue la bourgeoisie façon telenovela.

L’apothéose de cette fresque quasi déshumanisée de protagonistes réside dans André Martineau (Olivier Broche), un fonctionnaire qui obéit à sa supérieure lui intimant l’ordre de la lécher. Les promotions pleuvent, chacune d’elles lui conférant une nouvelle mission sexuelle auprès des autres employés du ministère de l’Intérieur pour lesquels il assouvit les déviances. Jean-Michel Ribes manie l’anti-conformisme, égratigne des professions ou des modes de vie, vise les écologistes, effleure même les féministes mais expose une vision surannée des réactionnaires confinant à de l’anti-populisme primaire. Parmi les spectateurs, il y a ceux qui rient et ceux qui assistent, navrés, à une succession inégale de platitudes cherchant la subtilité des propos. Déjouant l’aspect fantasque et l’humour, l’incompréhension borne la prétendue satire à un public initié.

J’habite ici est une compilation de saynètes qui interpellent plus qu’elles ne divertissent.

J’habite ici au théâtre du Rond-Point (8e).
Du 3 septembre au 17 octobre 2021.
Du mardi au samedi à 21h et les dimanches à 15h.

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