Juste une embellie : un irrésistible duel

En amour, il faut toujours un perdant. Dans Juste une embellie, deux cœurs féminins vaincus et convalescents cohabitent sur la scène du théâtre des Gemeaux. Frances et Madeleine ont aimé le même homme en même temps. La mère de ses enfants se conjugue toujours au présent malgré la rupture. Sa maîtresse, militante passionnée, appartient désormais au passé. Il ancrait la première dans la stabilité du foyer tandis qu’il brulait de désir pour l’indépendance de la seconde. L’une a initié la rencontre, l’autre l’accueille, chez elle, sur l’île de Wight. L’une ignorait tout, l’autre en savait trop. Frances goûte, dorénavant, à la liberté qui a toujours mû la vie de Madeleine. S’engage un rapport de force entre les deux femmes ébranlées par la passion. Chacune voit dans le regard de l’autre le reflet de ses propres regrets. Sur la défensive, elles se toisent, s’autoflagellent, se confient un peu, se jalousent, rient même, et s’abandonnent pour mieux se renfermer.

David Hare s’inspire de l’épigramme de Paul Gaughin : « La vie est ce qu’elle est, un rêve de revanche. » Le dramaturge britannique signe une joute émotionnelle entre deux tempéraments opposés aux destins entrelacés qui se retrouvent à la croisée des chemins. Michaël Stampe cisèle l’adaptation de The breath of life. Sophie Jacob concocte le havre de paix de Madeleine, la volupté de l’exil outre-manchois. Dans la délicatesse de cette atmosphère, relevée de brises musicales, Christophe Lidon soumet deux comédiennes à une magistrale confrontation. Il aiguille les hostilités entre décontraction et maîtrise, conférant une apparence instinctive au moindre geste.

L’écart se creuse jusque dans les partitions, l’une grave, l’autre plus légère. Corinne Touzet dévoue sa sensibilité à Frances, ménagère accomplie et romancière à succès. Elle fomente une traque subtile, fouille et collecte les confidences nécessaires à l’écriture des mémoires du triangle amoureux, « un tête-à-tête haletant », raille Madeleine. Lumineuse, Raphaëline Goupilleau voue son exquise intonation à l’amante, drôle et hautaine, résolue à conserver son ascendance. Ensemble, elles crayonnent, en filigrane, leur passé commun prénommé John, avocat aujourd’hui dans des bras plus jeunes à Seattle. Le ferry ramenant Frances sur le continent balaie, au petit matin, ce furtif entracte à l’instar du songe d’une nuit.

Juste une embellie est un bijou théâtral.

Juste une embellie au théâtre des Gemeaux (Avignon).
Du 7 au 31 juillet 2021.
A 12h25.

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