La visite de la vieille dame : création réussie au Français

La visite de la vieille dame-Vieux-Colombier

© E.C.

« Le monde a fait de moi une putain, et maintenant j’en fais un bordel », s’exclame Claire Zahanassian. Elle n’a rien oublié et revient à Gullen, sa ville natale, pour accomplir sa vengeance. Devenue immensément riche, accueillie en sauveur sur une terre plongée depuis longtemps dans la misère, elle accepte d’offrir un milliard en échange de la mort d’Alfred III, son amour de jeunesse. Reniée alors qu’elle était enceinte de lui, la sombre héroïne fait souffler un vent d’amoralité, dans La visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt. Pour la première fois à l’affiche de la Comédie-Française cette tragi-comédie confronte le nature humaine au pouvoir de l’argent.

Avant que le rideau noir ne se lève, il est recouvert de rayons de lumières dessinant le plan de Gullen. Sur le quai de la gare, la population frémit d’impatience. Sur le décor noir de Catherine Bluwal, des projections lumineuses et des éléments suspendus – une horloge ou des feuillages – changent l’atmosphère et déplacent l’action de la gare, à la forêt de l’Ermitage ou encore dans la Grange à Colas. Dans ces lieux empreints des souvenirs de son amour, Claire Zahanassian redevient un court instant Clara, la jeune fille qu’elle était. Une enfant qu’aucun des cinq notables à la tête de la ville n’a connu. Le maire (Gérard Giroudon), le professeur Kühn (Michel Favory), le commissaire Hahncke (Christian Blanc), le pasteur (Didier Sandre) et le médecin Nüsslin (Simon Eine), personnalisent la conscience collective. La politique, le savoir, l’ordre, la spiritualité et le bien-être plieront chacun à son tour, balayant les propos humanistes dont ils se targuaient tous.

Un conte expressionniste

« La visite de la vieille dame est une partition d’orchestre, où chaque soliste a son moment, chacun dévoilant à sa manière la face sombre et médiocre de l’humain » explique Christophe Lidon. Cela transparait dans sa mise en scène, juste, qui laisse persister l’espoir d’une heureuse issue.

Daniele Lebrun, parfaite pour son premier grand rôle depuis son retour au Français, campe une « vieille dame » glaçante, perverse, tendre et excentriquement méchante. Depuis son piédestal, cette sorte de Sarah Bernhardt, assiste, sans fléchir, à la chasse à l’homme dont elle est l’instigatrice. Sa proie, Samuel Labarthe, incarne un Alfred Ill, apeuré qui se résigne au sacrifice de sa vie au contact d’une population dont la cupidité aura eu raison de l’âme. Face à eux, Christian Gonon interprète Moby, Hoby et Voby, les septième, huitième et neuvième maris soumis de Claire Zahanassian, tandis que Céline Samie est l’indiscernable Madame Ill. Deux sociétaires honoraires reprennent du service : Yves Gasc, merveilleux en Koby et Loby, loufoques témoins devenus aveugles, et Simon Eine, partagé entre visiteurs et hôtes, dans les rôles du majordome de Claire, du médecin Nüsslin et d’Helmesberger. Didier Sandre et Pauline Méreuze débutent avec brio dans la troupe. Il joue le pasteur et le Peintre Hauser et elle dans de nombreux jeunes personnages, tout comme Noam Morgensztern.

La visite de la vieille dame qui n’avait pas été jouée en France depuis 1996, fait un retour réussi en conte expressionniste à la Comédie-Française.

La visite de la vieille dame au théâtre du Vieux-Colombier (6e).
Du 19 février 2014 au 30 mars 2014
Du mercredi au samedi à 20h, les dimanches à 16h et les mardis à 19h.

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